La philosophie de l’éducation est riche d’une tradition qui aime à puiser ses hérauts philosophiques du côté d’un humanisme reposant sur une anthropologie distinctive : l’homme serait un animal singulier dans le règne du vivant, un être perfectible et « éducable » par excellence. Ce n’est pas pour rien que Descartes, Rousseau ou Kant sont les figures tutélaires de bien des travaux en philosophie de l’éducation. Ce choix axiomatique semble plein de bon sens et généreux : l’enfant ou l’élève est un être libre dont j’ai à respecter la dignité ; l’éducation est la rencontre de deux libertés.
Face à ce postulat anthropologique, le déterminisme apparaît comme un réductionnisme qui ruine les espoirs et l’optimisme des éducateurs comme des professeurs. Son message semble celui-ci : « n’oubliez pas que les individus sont déterminés par l’histoire de leurs situations, et celle-ci est une lourde machinerie qu’il est difficile d’incliner vers d’autres directions ». J’emploie volontairement le terme de « machinerie », dont les connotations techniques heurtent volontiers la culture humaniste et technophobe de beaucoup de philosophes.
Ne cédons pas aux réactions viscérales, et voyons précisément si, d’un point de vue logique, il n’est pas plus fécond de choisir une axiomatique déterministe en sciences de l’éducation. Prenons le « prince des philosophes », Spinoza, qui heurte de plein fouet les philosophies du libre arbitre en soutenant ceci : il est faux de croire que la volonté humaine est libre. La plupart de ses énoncés semblent contredire les principes mêmes sur lesquels repose la pensée de l’éducation : naturalisme intégral, anti-humanisme, nécessitarisme. Toutefois, le spinozisme propose aussi une approche de l’individuation en termes de processus constituants, ainsi qu’une conception déterministe et relationnelle des réalités humaines, qui semblent parfaitement adaptées pour penser l’éducation comme devenir de l’individu.
Bref, il faut choisir lorsque l’on mène des recherches en sciences de l’éducation (parfois, elles convoquent une philosophie implicite sans vraiment en avoir conscience) : un humanisme philosophique abstrait ou bien une anthropologie naturelle concrète ? Les sciences de l’éducation n’auraient-elles pas beaucoup à apprendre du côté d’une approche spinoziste de leurs problèmes ? (1) Par exemple, la didactique des disciplines (en philosophie ou bien en logique, pour prendre des disciplines proches) sera radicalement différente selon le choix théorique effectué. (voir Charbonnier, 2013)
Pourquoi le déterminisme est logiquement nécessaire pour penser l’éducation ?
Les réflexions en philosophie de l’éducation laissent souvent entendre que le meilleur terreau pour penser l’enseignement serait une philosophie humaniste et une anthropologie de la libre volonté. Un professeur résume bien ce postulat : « La question de l’éducation ne se pose que pour un être libre, dont le développement n’est pas déterminé a priori par quelque ‘‘nature’’ que ce soit. » (Fontaine, 2012) De même, au début des années 1990, un dialogue de sourds avec un précurseur de la didactique en philosophie est sanctionné au détriment du didacticien : « quand ce dernier demande : ‘‘que dire des processus d’apprentissage à l’œuvre chez un élève de philosophie ?’’ […] on est tout à fait fondé à récuser la question au nom de la rigueur lexicale, en français le mot ‘‘apprentissage’’ renvoie à l’idée d’un montage mécanique et il est déplacé quand on s’interroge sur la façon d’apprendre à philosopher. » (Solère-Queval, 1991, 127) Les philosophes aiment trop la « liberté de pensée » pour accepter que nous soyons déterminés dans nos amours, nos haines, et même nos jugements critiques.
Pourquoi faire alors le choix d’un déterminisme méthodologique ? Il ne s’agit pas d’un choix
– ne souscrivons pas à l’illusion du libre arbitre au moment d’expliquer la pertinence du déterminisme : tout déterministe conséquent ne peut pas concevoir sa posture théorique comme un choix engagé ou personnel, mais seulement comme l’effet de causes précises. Quelles sont les causes ici ? Imaginons qu’il soit beaucoup plus humain et chaleureux de supposer que chacun puisse prendre son destin en main s’il le décide avec fermeté et courage : c’est le postulat éthique et psychologique minimal de l’éducation, affirment les ennemis du déterminisme. Et de fait, les « grands » auteurs philosophiques invoqués pour penser l’éducation et la pédagogie sont souvent des penseurs de la liberté du vouloir… On oit semblables doux refrains : par amour des hommes, par respect pour eux, etc. S’inscrire en faux, c’est passer alors pour un vilain Victor Frankenstein : comment peut-on vouloir éduquer l’homme, et à quoi bon, s’il obéit à des lois mécaniques ? La pédagogie humaniste s’accroche au possible et à l’idéal comme à une mamelle : c’est son lait et elle ne voit pas comment on pourrait survivre à sa perte.
Pour ce qui concerne la recherche en sciences de l’éducation, il n’est nul besoin de pousser jusqu’au métaphysique, contentons-nous d’un déterminisme méthodologique. Sans polémiquer sur le fait que le déterminisme décrit adéquatement la réalité empirique, il est à tout le moins un axiome d’enquête logiquement plus fécond surtout, et essentiellement, pour la question de l’éducation dont il constitue la raison d’être. En effet, la question de l’éducation ne peut pas être pensée rationnellement sur les bases de la chimère théorique du libre arbitre – certes psychologiquement rassurante. En effet, si l’individu est libre en ce sens, cela signifie qu’il peut penser et agir selon son bon vouloir, quelle que soit la situation ou les causes qui agissent sur lui : il est donc impossible de penser ce que telle situation aura comme effet sur lui. C’est l’éducation comme transformation de soi qui est vidée de son sens. Selon la vieille équivalence entre causa et ratio, il est difficile d’envisager la connaissance rationnelle d’une série de phénomènes qui seraient sans cause. Si comprendre par la raison, c’est comprendre par les causes, alors c’est comprendre que le phénomène qu’on observe est causé, qu’il est déterminé par une cause à être ce qu’il est. L’intellection rationnelle, nécessaire pour qui prétend faire science, repose donc entièrement sur un principe déterministe. Penser l’éducation, réfléchir sur la pédagogie sont des tentatives théoriques qui réclament logiquement le déterminisme.
Par contraste, le point fondamental des anthropologies du libre arbitre est leur présentisme : « faute de reconnaître rien qui ressemble à des dispositions durables et à des éventualités probables, elles font de chaque action une sorte de confrontation sans antécédent du sujet et du monde. » (Bourdieu, 1980, 71) L’autodétermination est cette capacité magique de se déséduquer d’emblée pour agir aussi bien follement que raisonnablement. À l’inverse, le cœur de la pédagogie est le temps, burin inéluctable de la formation et des déformations. Un projet d’éducation suppose nécessairement de pouvoir penser rationnellement les processus d’aliénation – devenir passif – et de libération – devenir actif. Si on brise théoriquement la chaîne causale pour l’homme, on lui rend le plus pervers des services : on l’enchaîne à la « responsabilité » de sa liberté personnelle et l’on rend impensables les lois des mécanismes de libération ; les relations interhumaines ne peuvent plus être que sermons, éplorations et autres inculpations – le contraire du projet pédagogique de formation de l’homme. Celui-ci n’est envisageable qu’à la condition de pouvoir penser les modalités techniques de la libération qui sont au contraire instituées en « boîte noire » dans l’anthropologie de la liberté donnée – par respect pour la dignité humaine. Le pédagogique correspond alors exactement à la zone d’irrationalité que l’on a créée par soi-disant respect pour l’humanité de l’autre. En ce sens, les adversaires du déterminisme et amoureux de l’illusion du libre arbitre sont les Gentils de la pédagogie.
Le déterminisme participatif contre les philosophies du libre arbitre
De plus, le déterminisme engage directement une philosophie politique pour penser la liberté : du refus de définir la liberté comme une faculté innée (l’homme aurait un libre arbitre), s’ensuit la nécessité de construire un nouveau concept de liberté donc un projet politique de création des conditions de cette liberté. On ne naît pas libre, on a à le devenir, donc à l’apprendre. Si la liberté n’est pas synonyme de libre arbitre (ou libre volonté), elle devient synonyme de puissance : être libre, c’est conquérir la capacité de faire telle ou telle chose. Être libre, ce n’est pas vouloir penser ce que l’on veut, quel que soit le contexte d’endoctrinement d’une société ou d’une éducation parentale ; être libre, c’est avoir la force de penser autrement, et cela s’exerce comme on exerce son corps pour apprendre à faire des gestes. La liberté est la puissance de faire des gestes qui nous libèrent relativement des pesanteurs diverses qui nous entourent, en jouant sur la résistance nécessaire de notre environnement – le mur qui me bloque est aussi celui sur lequel je peux m’appuyer pour sauter. Comme le disant Leibniz (un philosophe déterministe) : la liberté de penser ce n’est pas avoir le droit (allowed to) de penser ce qu’on veut, mais pouvoir (able to) penser autre chose que ce qu’on doit. (voir Leibniz, 1715).
Théorie et pratique n’ont alors aucun sens à être séparées. La liberté est politique et démocratique ou n’est pas : chacun doit participer à l’élaboration de l’idée pour en vivre les effets pratiques. À l’inverse, le postulat d’une donnée de la liberté humaine engage le philosophe sur le faux problème du mésusage de cette liberté – divergence entre théorie et pratique – donc dans un projet avant tout moralisant et souvent peu émancipateur : « nous avons trouvé ce qui est bon pour vous : appliquez-le », sermonnent les libérateurs autoproclamés. Avec un tel choix anthropologique, on n’a jamais à libérer les individus libres, on peut tout au plus les blâmer de mal utiliser leur liberté. Ce qui n’est pas éduquer !
L’accusation se renverse : faute de lois qui déterminent la pensée et les actions humaines, comment peut-on espérer améliorer l’homme ? C’est le perfectionnisme, en tant que tradition philosophique répondant à la question « comment devenir meilleur ? », qui est impossible sans déterminisme. C’est donc le sens de l’éducation qui est perdu. Bachelard rappelait la nécessaire éducation à la liberté, conçue comme un travail de rééducation de soi, en tant que la liberté ne peut pas être première. En effet, on se libère contre une aliénation antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à l’émancipation. L’idée de partir de la liberté humaine pour fonder et moraliser l’agir collectif ne peut venir que dans des cultures de la culpabilité où un acte est immédiatement imputable à un choix responsable. Mais devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d’un seul coup table rase des déterminations usuelles. Face au réel, ce qu’on croit pouvoir faire clairement offusque ce qu’on devrait essayer de pouvoir faire. Quand il se présente à l’éducation à la liberté, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. La liberté ne va pas de soi. Elle n’est pas donnée. Elle est construite. (voir Bachelard, 1993, 14) (2). L’idée de libre arbitre est un obstacle épistémologique pour penser l’éducation.
Prenons deux exemples. (a) Tel un Phénix, Descartes renaît de ses cendres pour devenir cette étrange chimère : un être de raison sans histoire, donc sans préjugés ni anté-déterminations. Si la maïeutique est un accouchement, le doute hyperbolique est un « infanticide ». (Gouhier, 1999, 58) Cette solution « magique » sera minutieusement contredite par Spinoza, puis par le père du pragmatisme qui la qualifiera de « doute de papier ». (Peirce, 1934, 5.376) Croire qu’on peut ainsi débouter les déterminations au sein de l’éducation est ce que Rousseau a nommé la « mystique de la ‘‘deuxième naissance’’ », dans la fiction de l’homme-enfant (Rousseau, 1966). Croire que l’éducation à la liberté peut se passer de considérer modestement la banalité et la quotidienneté des déterminations qui nous habitent et nous font relève de la pensée magique. C’est vouloir se débarrasser à bon compte de la somme des causes qui nous agissent. Ce travers conduit souvent au mythe de la conversion : croire qu’il est possible de passer d’une hexis à une autre radicalement différente. L’éducation à la liberté est alors réduite à une injonction, puisque l’individu est censé déjà posséder la faculté pour une telle métamorphose de soi : « sapere aude ». (Kant, 2000, 90)
(b) En effet, la célèbre expression de Qu’est-ce que les Lumières ? repose sur ce postulat : les hommes manquent de courage.( 3) Kant est un cas typique de raisonnement « émancipateur » ancré dans le postulat d’un libre arbitre humain. La liberté est donnée, elle est donc un paradis perdu qu’il s’agit de retrouver. L’« émancipation » est alors une éducation au recouvrement de la volonté : clef d’accès à la moralité donc à la liberté. Le diagnostic du « plus grand problème de l’éducation » devient : « comment unir la soumission sous la contrainte avec la faculté de se servir de sa liberté ? Car la contrainte est nécessaire Mais comment puis-je cultiver la liberté sous la contrainte ? Je dois habituer mon élève à tolérer une contrainte pesant sur la liberté, et en même temps, je dois le conduire à faire lui-même un bon usage de sa liberté. » (Kant, 1966, 73) Le problème kantien résume le biais de ses postulats : il concerne l’usage de la liberté. On oscille alors entre « bien en user » et « en user mal ». L’étude rationnelle des processus techniques de libération est renvoyée à des leçons de morale. Or, comme le montre l’analyse du langage ordinaire, l’exhortation est un verbalisme inopérant, un choix pédagogique vide qui ne se donne aucun moyen de changer effectivement quoi que ce soit dans les dispositions de l’individu. (Scheffler, 2003, 109-138). Sans doute l’idéal régulateur de Kant est-il la libération collective, cette idée toute spinoziste d’être le plus nombreux possible à penser le plus possible, mais Kant ne s’en donne pas les moyens. Il ne le peut pas parce que son axiomatique lui en retire la possibilité – ayant enfoui, par son geste théorique, le levier dans les tréfonds de la volonté personnelle.
Autrement dit, le problème de l’éducation à la liberté n’est pas autre chose qu’un problème de puissance, une question factuelle et effective : où en suis-je de ma liberté, que puis-je effectivement faire aujourd’hui ? La question n’est pas métaphysique – essence de la liberté –, elle n’est pas d’abord juridique – cadre de la liberté –, elle est technique : par quels mécanismes, à travers quels processus une libération est-elle possible ? Il s’agit d’un problème technique puisque s’y opèrent des jeux de forces tant psychologiques que sociologiques qui sont autant de paramètres concrets qui bloquent, verrouillent, biaisent, réorientent des puissances dont on ne sait même pas, a priori, quelles directions elles devraient prendre. C’est pourquoi la question de la liberté ne peut pas être posée in abstracto, à propos de l’homme en général. Elle ne peut l’être qu’à propos des individus concrets ; ainsi, elle cesse d’apparaître comme un état homogène : elle a ses degrés, qui correspondent à des degrés de puissance. La liberté n’est pas un saut par-delà le conditionnement, c’est un mode singulier d’agencement qui ne diffère pas, par nature, de l’aliénation. Sauf à tomber dans une solution mystique, comment pourrait-on démontrer, à partir du constat de l’antériorité généalogique du conditionnement, la possibilité d’une liberté qui s’extrairait comme par miracle du travail long et prégnant, continuel, de l’hétéro-conditionnement ? C’est donc à penser la liberté en termes de degré, d’un point de vue technique, que l’on pourra sortir du formalisme scolastique sur la question de la liberté et envisager l’opérativité, l’effectivité, d’une éducation à la liberté. Le concept qui peut soutenir cela est celui de déterminisme participatif.
Nous éduquer ensemble : la libération doit être réciproque ou ne sera pas
Apprendre la liberté est donc un phénomène qui s’inscrit dans le jeu des causes et des effets. Nous sommes déterminés : soit. Il nous reste donc à devenir acteurs au sein de ce déterminisme. L’adjectif « participatif » doit nous alerter sur un point crucial en sciences de l’éducation : un éducateur et un éduqué participent tous deux à la situation d’interaction qu’ils vivent. La liberté est donc en jeu pour chacun : la conséquence radicale d’une axiomatique déterministe est d’en finir avec l’illusion néo-colonialiste qu’il y aurait des individus libres (savants, déjà éduqués, etc.) d’un côté, et des individus à libérer, à éduquer de l’autre.
La figure de « l’éducateur libre (majeur) et libérateur (des mineurs) » est le présupposé jamais vérifier des humanistes, pour qui le modèle de l’éducateur reste implicitement calqué sur la figure du clerc (l’intellectuel-adulte sur le modèle du prêtre qui évangélise et essaie de convertir à la vocation d’être un homme). Cela implique une certitude d’être déjà de l’autre côté de la barrière (on est libéré, on sait, donc on n’a plus besoin des autres) parfaitement dangereuse et aux effets éducatifs terribles – pointés avec une ironie fine par Bachelard sous le nom de « complexe de Cassandre ». (Bachelard, 1999, 75) Il faut dire au contraire : seuls des individus capables de reconnaître tout le chemin qu’il leur reste à parcourir, seuls des individus reconnaissant leur faillibilité, donc la nécessité d’autrui pour les aider, seront capables de désirer s’émanciper avec leurs élèves. Nous sommes tous surdéterminés par des logiques sociales distinctives, tous nous sommes pris dans des pratiques dont la logique ne nous apparaît pas toujours clairement à nous-mêmes : c’est pourquoi nous avons tous, et toujours, besoin de continuer à nous émanciper avec les autres. Faire société, au sens démocratique, ne signifie rien d’autre.
Conclusion
En résumé, l’émancipation n’a de sens que si elle est coopérative donc réciproque. Le « nous » n’est pas donné, il est à créer. On peut douter de la capacité des êtres humains de se comporter majoritairement comme des êtres rationnels, en précisant avec vigueur que « la majorité en question se réfère davantage à la proportion entre comportements rationnels et comportements irrationnels qui animent chacun de nous, plutôt qu’à une opposition entre une élite raisonnable et des masses irraisonnées. » (Citton, 2006, 341) Tout individu en position d’éduquer ne doit donc jamais oublier la part de minorité en lui : il est lui aussi en train d’essayer de devenir rationnel. Comme dirait Spinoza : au moins, le postulat déterministe a le mérite d’avoir un effet éthique indiscutablement bon, il rend modeste et protège de la croyance délirante d’être parfaitement libre et de n’avoir pas besoin des autres. En un sens, le déterminisme en éducation rend nécessaire l’horizon politique de la démocratie, car il n’y a pas d’autres moyens de se libérer qu’avec les autres.
L’éducation n’est possible que lorsque je suis acteur au sein d’un agir collectif : on n’éduquera jamais aucun élève ou enfant tant qu’on les considérera comme des « receveurs » : eux aussi ont à donner, peuvent aider l’adulte à s’émanciper. Faute de cette réciprocité, nécessitant le postulat d’une égalité épistémique et éthique radicale, on s’étonnera toujours que les dons généreux des éducateurs n’aient pas les effets escomptés… On ne forme pas à la vie démocratique en commençant, à l’École ou ailleurs, par la procrastination de son exercice.
Sébastien Charbonnier
Docteur en sciences de l’éducation, chercheur associé au CREN
1 Cette tendance des sciences humaines à se nourrir des schèmes spinozistes à été pointée dans un ouvrage collectif : Spinoza et les sciences sociales (Lordon, 2008).
2 Ce pastiche de Bachelard est une déduction logiquement rigoureuse de son propos initial car il constitue un ensemble d’application impliqué dans l’ensemble de départ de la citation originale. En effet, si « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » alors « La liberté ne va pas de soi. Elle n’est pas donnée. Elle est construite » est vrai a fortiori.
3 Voici la phrase qui précède l’injonction latine : « La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable s’il est vrai que la cause réside non dans une insuffisance de l’entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction d’autrui. » (Kant, 2000, 90)
Bibliographie
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